La nuit est faite pour attraper les étoiles.
Le rêve dissout notre esprit de toutes contraintes.
Evadez-vous dans l'inconnu, dans cette entité, vous ne serez jamais amenés à vous retourner.
Martine Tardy Pierretta
Je me souviens, j’avais six ans, mon frère Louis fit une crise d’autisme bien plus importante que celles qu’il avait faites jusque-là. J’étais seule avec maman, mon père ayant dû partir au Canada, exceptionnellement et sans elle. J’attendais que Madeleine, la nurse, me conduise à mon cours de danse classique. Louis commença à crier à tue-tête et à taper sur son crane en trépignant. Puis, il se mit à hurler, à se débattre et à prendre tout ce qu’il avait à portée de main pour le jeter au milieu du salon. Il cassa plusieurs vases et bibelots de valeur en bavant et en pleurant. Cette crise grave et violente avait été provoquée bien involontairement par maman ; elle lui avait refusé une deuxième part de gâteau, estimant qu’il s’était suffisamment gavé avec les bonbons mous, que mon père lui avait rapportés de son dernier voyage à Paris. Louis supportait bien les sucreries, mais ma mère ne l’entendait pas de cette oreille.
Je me rappelle aussi de ce jour de pluie. Pierre avait du mal à rester enfermé dans notre propriété de l’ouest Lyonnais. Il tournait en rond, ne sachant que faire de lui-même. Sans le vouloir mon chien Terry, un berger Belge âgé de cinq ans, récupéré sur la route un dimanche après-midi de juillet 1943, a écrasé l’une de ses innombrables voitures qui jonchaient le sol de la salle de jeu et ce fut un vrai scandale. Pierre se mit à tirer Terry par la queue, à lui donner des coups de pieds dans le flanc, à hurler de colère et à le frapper avec une corde à
embout de bois. Louis était là, atterré, pensant sans doute qu’il n’était pas le seul à prendre de grosses colères. Il ne bougea pas davantage de sa chaise lorsque Terry cria fort de douleur. Madeleine intervint pour voir ce qui se passait. Moi, Rose, la grande sœur, scrutant le regard de mon frère Louis, je vis dans ses yeux comme une sorte de toute petite lumière, aussitôt éteinte, car il ne savait pas que Terry avait mal. Il ne comprenait sûrement pas pourquoi Pierre criait, gesticulait dans tous les sens et frappait le chien. Je mis fin au pugilat et pris Louis par la main, tentant de le rassurer, car il n’avait jamais vu Pierre dans un tel état. Il se contenta de me regarder de ses grands yeux noirs. Je lui ai demandé de se lever, il a compris et m’a suivi dans le reste de la maison, puis à l’extérieur. Nous avons fait une petite promenade dans le parc. Je lui ai montré les fleurs, la fontaine. Terry surgit, courant vers nous. Louis regarda Terry avec une attention soutenue, ce qui fût pour lui, comme pour moi, une avancée. J’emmenai Louis s’asseoir sur un banc situé dans le parc et lui chantai une chanson qu’il sembla apprécier, puis je sortis de la poche de ma robe, une feuille sur laquelle j’avais écrit ce petit poème :
« Toi, mon frère
Tu es un solitaire
Et dans ta tête,
On ne sait où tu te perds.
Est-ce l’été,
Ou bien l’hiver ?
Tu t’es résigné à te taire
Mais je me suis juré
De me battre contre vents et marées,
Pour enfin te voir t’amuser
Ta sœur Rose, qui t’aime. »
À presque 10 ans, mon âge à l’époque, je ne savais s’il me comprenait, ou ne faisait que m’entendre, mais, en tout cas, il me regardait tendrement et sans nervosité. J’appréciais tout particulièrement ces moments avec Louis. Nous passions, suivant le temps, des heures à nous balader dans le parc de la maison, mais aussi dans la forêt en compagnie de Madeleine, qui nous suivait de près.
Souvent, j’emportais avec moi le livre que Louis semblait aimer. Je lui montrais des images. Je mimais les personnages du livre, le faisant parfois sourire.
Je m’étais fixée un objectif : celui d’attirer de plus en plus l’attention de Louis en faisant le clown et en le poussant à m’imiter.