La nuit est faite pour attraper les étoiles.
Le rêve dissout notre esprit de toutes contraintes.
Evadez-vous dans l'inconnu, dans cette entité, vous ne serez jamais amenés à vous retourner.
Martine Tardy Pierretta
Extrait:
La couleur ocre de cet endroit infâme le rendait encore plus chaud qu’il ne l’était. Jim était prisonnier, depuis combien d’heures ? Il n’en avait aucune idée ! La sueur qui coulait le long de son dos accentuait cette impression de fièvre. On l’avait poussé dans ce trou au milieu de nulle part. Où étaient ses amis ? Depuis qu’il avait repris conscience, il ressentait un raidissement à l’arrière de la tête qui irradiait depuis son cou. Il porta la main à sa nuque pour la soulager. La douleur était très intense. Il fouilla dans ses affaires qu’on lui avait jetées à côté de lui, et remarqua que son portable n’était plus dans la poche de sa veste, pas davantage dans celles de son jean. Il se leva, son corps tout entier était comme passé sous un rouleau-compresseur. Lorsque Jim marcha sur ce sol sablonneux, la poussière soulevée par ses chaussures laissa filer une traînée rose. Il n’avait plus aucun repère. Il assembla chacun de ses souvenirs pour mieux en extraire des éléments précieux. Il avança jusque vers la fissure qui se trouvait dans le mur épais, d’où un rai de lumière s’infiltrait grâce aux rayons généreux d’un puissant soleil. Il ne savait pas l’heure qu’il était, seul son estomac était là pour lui rappeler qu’il avait faim. Certes, il n’avait pas eu droit à un petit déjeuner, ce qui faussait clairement son envie de manger un morceau. S’il devait se fier au soleil, il dirait qu’il est entre dix heures trente et onze heures environ.
Aucun bruit proche ne lui parvenait, de temps à autre, peut-être un son lointain, il ne savait pas vraiment, son esprit lui faisait défaut. Jim avait surtout peur qu’une 1veuve noire ne vienne lui tenir compagnie. Par la fente du mur, il chercha à voir s’il y avait d’autres habitations ou la présence de quelques arbres, mais rien dans son petit champ de vision ne le laissait supposer. Il retourna s’asseoir sur ce sol. On ne lui avait pas laissé de confort pour sa captivité qui risquait d’être longue, pas même une bouteille d’eau. Tout indiquait qu’on voulait qu’il crève à petits feux. Jim savait qu’il pouvait encore tenir un à deux jours comme ça, sans rien. Néanmoins malgré son âge, 28 ans, il ressentait déjà une fatigue qui, au fil du temps, allait diminuer ses chances de survie. Le plafond, les murs, étaient maculés par la crasse. Sur le sol, jonchaient des sacs vides, des restes de tacos et d’enchiladas, des cadavres de bouteilles après des verres de Tequila, de Margarita et de bières mexicaines ingurgités par des personnes sans retenue. Autant de dégoût pour Jim qui n’aimait pas cette ambiance. Comment avait-il pu se laisser prendre ? Comment les kidnappeurs avaient su qu’il était en vacances en Arizona ? Pourtant, en tant que flic, il en avait pris des précautions. Apparemment, les ravisseurs avaient leur réseau d’informateurs bien plus renseignés qu’il ne s’en doutait. Sûrement que George et Mickaël Bachelister, un des cartels de la drogue au Mexique qu’il surveillait de près avec Morgane Rockwell, n’étaient pas innocents à son enlèvement. Et Dwayne, l’avait-il aussi kidnappé ?
Il n’était pas au bout de ses découvertes.
Soudain la pluie frappa aux carreaux du quatrième étage de ce vieil immeuble bourgeois parisien, néanmoins bien entretenu. Jim s’étira, faisant face à l’immeuble qui donnait sur la cour. De là, il ne voyait que des fenêtres, où, en période de fortes chaleurs, les résidents passaient, souvent peu couverts. Mais c’est surtout lorsqu’il voyait Dwayne son frère aîné, de trois ans de plus que lui, artiste dans l’âme, qui depuis sa chambre louchait vers l’immeuble et dont les yeux roulaient comme des billes au passage de certaines belles jeunes femmes. Jim souriait discrètement, cette situation l’amusait beaucoup. Jusque-là, son frère ne s’était jamais aperçu de sa présence. C’est sûr, un jour, Jim se ferait surprendre par son frère. Il mentirait à Dwayne, prétextant avoir besoin de son chargeur de console, que ce dernier lui avait une fois de plus emprunté.
Dwayne venait d’être retenu à un concours de chant. Il avait une voix en or, tout le contraire de Jim. Ils étaient diamétralement opposés en tout. Dwayne était le chanteur appliqué, mais assurément vagabond, peut-être le seul point commun avec Jim. Malgré tout, il ne faisait rien au hasard, studieux, il s’accomplissait dans les études pour devenir professeur certifié de musique au cas où la chanson ne le mènerait nulle part. Jim lui, était le petit baroudeur, l’anti scolaire jusqu’en seconde mais très protecteur de sa famille. Il s’était réveillé en première, trouvant enfin son chemin grâce au père d’une amie.
« Je veux être commissaire principal » avait-il déclaré un jour à un repas de famille.
Lauren, sa mère, encore plus surprise que Jérôme, son père, avait rétorqué :
« Commissaire principal, euh pourquoi pas ! Tu serais bien le premier dans la famille. Mais es-tu sûr, toi qui n’aimes pas la rigueur ? »
« Plus que certain, je veux être un homme qui fait respecter la loi ».
Et son père de se moquer :
« Elle est bien bonne celle-là, tu n’as jamais respecté la loi de l’école ni celle de la maison et tu veux l’ordre ? ! »
Pour toute réponse, il avait haussé les épaules, aux rires saccadés de son père qui avaient résonné dans la salle à manger et certainement jusque dans la rue.
En ce mois d’octobre, Dwayne posta une vidéo sur YouTube. Accompagné de sa guitare électrique qui lui cachait tout le haut du corps, il balança sa voix sur une de ses compos. Il n’avait parlé de rien à personne. C’est seulement un vendredi soir, à son retour de la Faculté de droit, Jim suivait ses cours de première année en licence à l’université de Paris Cité, que son frère lui montra la vidéo qui avait déjà plus de mille vues à son actif. Pourtant, ce n’était que le troisième jour de présence sur le net. Son timbre de voix communiait avec sa tenue impeccable. Pas un seul cheveu ne dépassait ; la plupart du temps, ses paupières recouvraient son regard profond. Ses lèvres s’émancipaient tant sa passion était grande comme souvent chez les très grands artistes. Mais à ce moment-là, il ne savait pas qu’il en deviendrait un ! Il avoua à son frère, vouloir la diffuser sur les réseaux sociaux. Leurs parents, finalement informés, et qui les ont toujours soutenus dans leurs choix, approuvèrent cette idée. Très vite, le nombre de vues se multiplia par dix, par cent et bien plus. Les agences de castings de télé-réalité le contactèrent, ce fut avec fulgurance que sa notoriété grandissait.
— Je suis fier de toi frangin !
La société du disque lui proposa d’enregistrer son premier single, deux fois deux titres. Pour l’instant, aucune de ses propres chansons ne figurait sur la plage. Il se laissa enrôler pour un cachet mirobolant. Sauf que sous ses airs rêveurs, Dwayne était un têtu, parfois considéré comme ténébreux par certains. Il menaça la société de rompre le contrat, si son futur album ne comportait pas au moins la moitié de ses compositions. Les managers durent se plier à ses règles car Dwayne était une pépite en or. Il avait d’autres projets en vue, notamment une comédie musicale. Déjà les chaînes de télévision, les stations de radio le réclamaient, même à l’étranger. Son style était plus un mélange de pop rock. Ouvert à toutes propositions, il ne voulait pas non plus s’éloigner de sa tendance qui l’inspirait depuis l’adolescence. Leurs parents et Dwayne s’en trouvèrent dépassés. Jusqu’à présent, chez eux, rien n’avait requis autant de notoriété. Pourtant, leur mère avait accumulé des prix sans jamais atteindre la montée notoire de son fils.
En 1991, leurs parents s’étaient rencontrés à la sortie d’une salle de concert, il pleuvait des cordes et le père de Jim n’avait pas de parapluie, d’ailleurs il n’en avait jamais. Américaine, native de l’Oregon, leur mère s’était installée à New York pour suivre ses cours de piano. Ensuite, quelques années plus tard, elle devint professeur de piano à son tour. Leur père, américain d’adoption depuis qu’il usait les bancs de la Fac pour ses cours de marketing, exerça son métier de manager commercial dans le domaine de l’automobile de luxe. Ils avaient quitté Les États-Unis peu de temps après les sept ans de Dwayne. Jim, trop petit, n’avait pas vraiment de souvenir de copains. Venus en vacances pour un mois, des amis avaient réussi à convaincre leurs parents de s’installer en France. Au départ, leur père était réticent, et même si le bon vin français ne l’avait jamais laissé indifférent, il avait pris le rythme de la vie outre atlantique. Oublier les escapades de sa mère, les États-Unis, avait été une échappatoire pour ne plus souffrir et un rêve d’adolescent.
Pour vivre à Paris, Lauren avait pris pour prétexte le conservatoire, quatrième meilleure école d’art du spectacle selon un classement, ayant formé entre autre Berlioz. Jérôme s’était incliné devant ce choix, et finalement, était enchanté de revenir chez lui en France. Dans le métier de l’automobile, il y avait de la ressource, surtout à Paris, pas difficile pour lui de trouver rapidement un travail de commercial en marketing et aujourd’hui directeur adjoint d’une concession de marque allemande.
Dwayne n’avait pas échappé aux cours de piano avant de pouvoir jouer de la guitare avec M. Matricon, qui avait très vite compris que ce dernier dépasserait un jour le professeur. Quant à Jim, il était comme son père, un piètre musicien et surtout, il chantait faux. Un jour, Dwayne se croyant seul à l’école de musique, avait entonné une de ses chansons écrite et composée à la guitare. M. Matricon l’ayant entendu, lui avait permis de jouer trente minutes, à condition qu’il accepte de chanter, seul, enfermé dans une pièce éloignée des salles des autres élèves, et surtout après les cours. Dwayne avait tout de suite accepté, il n’allait pas faire le difficile. Son exigence envers son professeur était :
« Tant que je ne suis pas prêt, mes parents, mon frère, les autres élèves, personne ne doit savoir. »
« Pour justifier vos entraînements après les cours, vous n’aurez qu’à dire à votre famille que nous préparons un spectacle pour la promotion », avait répondu M. Matricon. »
Et c’est ainsi que durant toute l’année 2010, il avait pu améliorer en catimini ses propres compositions. Depuis, à la maison, il écrivait ses textes en cachette, même son frère n’avait pas le droit de les lire. Par contre, Jim sut très vite pour les entraînements de dernière heure. Dwayne savait qu’il pouvait lui faire confiance.
Dwayne n’avait pas vraiment de look, il s’habillait plutôt de façon classique, jean, baskets, t-shirt ou polo. Malgré son côté passe-partout et un beau visage encore adolescent, il avait fière allure. Il se vit proposer tenues diverses et variées, avec des blousons plus rock, mais Dwayne ne se sentait pas très à l’aise, d’autant plus qu’il était du genre introverti.
À presque vingt-deux ans, il était devenu un homme responsable de ses choix. Les États-Unis lui faisaient les yeux doux. Il partit pour Seattle. Le Columbia City Theater attire aujourd’hui toutes les tendances musicales, Dwayne en rêvait depuis ses seize ans, c’était donc pour lui une réalisation. Lui qui avait eu tant de mal à se séparer de ses copains de l’État de Washington, aujourd’hui ce métier lui donnait en plus de voyager, l’occasion de les retrouver sans toutefois leur consacrer beaucoup de temps, eux aussi avaient leur vie. Néanmoins il était régulièrement en contact avec deux d’entre eux. Lors de leur installation en France, Dwayne très jeune, en avait beaucoup voulu à sa mère, puis un ou deux copains en France plus tard, il avait été complètement conquis, surtout que l’un d’eux avait une sœur dont Dwayne était secrètement amoureux. Cela avait tout changé pour lui. Disons le temps d’une idylle de petit garçon qui en amena quelques autres et bien plus.
Le soleil martelait les murs, Jim avait soif. Il aurait bu n’importe quoi. Toutefois, dans la poche de sa veste, il trouva une boîte de chewing-gum ; certes un peu fatiguée par les multiples transports, la dragée craquelée avait certainement perdu un peu de sa saveur. Mais c’était mieux que rien. Dans un premier temps, ce chewing-gum allait lui enlever le mauvais goût qu’il avait dans la bouche. Une chance, il trouva aussi un bonbon resté au fond d’une des poches intérieures de son blouson. Par contre ce bonbon risquait de lui donner soif. Il se posa la question :
« Combien de temps vais-je tenir comme ça ? Quelle heure est-il, treize heures, plus ? »
Il avait encore un peu la notion de cycle, mais pour combien de temps ? Il entendit plusieurs bruits successifs, il ne bougea pas, il dressa juste un peu plus l’oreille. Si c’était ses kidnappeurs, il craignait pour le sort qu’ils allaient lui réserver, surtout qu’il n’avait plus son arme, seulement ses poings et sa carrure d’athlète. Ses entraînements de self défense risquaient de ne pas suffire. Désarmé, il n’était pas superman non plus ! Puis, plus rien ! Tout était redevenu calme. Il s’avança jusque vers la fente pour voir ce qu’il se passait. L’ombre gagnait doucement le bâtiment, le soleil devait être à l’ouest. Le seul souvenir que Jim avait, c’était qu’avant d’être enlevé il se trouvait à la sortie de Phoenix en Arizona. Depuis, il ne savait pas si la route avait été longue, on l’avait assommé et tout était imprécis. Séquestré dans un coffre, cela lui avait fait perdre toute notion de durée, de lieux. Surtout, ce qu’il ne savait pas, c’était le temps qu’il était resté inconscient. Soudain, ses souvenirs refaisaient surface :
« Ah si, j’ai dîné avec Ingrid et Antwan, mes amis de Hillsboro ! Après plusieurs arrêts dans différents bars, on a même traîné dans la rue de Camelback Rd jusqu’à une heure avancée de la nuit avec une bouteille de vodka à la main. J’avoue, on était un peu éméchés. On s’est séparés. J’allais reprendre ma bagnole de location et après, putain, c’est le trou noir. Donc, il devait être un peu plus de trois heures du mat. Merde, j’avais rendez-vous ce matin avec Garrett et June, on devait partir à dix heures précises, pour aller chez Aline, la cousine de June, à Chandler, pour la journée.
1Araignée au venin très puissant